Marie, pourriez-vous nous raconter comment l'idée de "L’adieu n’est que l’espoir d’un au-revoir" a vu le jour et ce qui vous a motivée à aborder des sujets aussi délicats que le suicide et le silence chez les jeunes?
La mort fait partie de ma vie depuis l’enfance. Je n’en ai pas peur, mais elle m’accompagne, comme une question vivante. Elle me traverse, me façonne, me pousse à écouter ce qui ne se dit pas. Mais l’impulsion de ce roman ne vient pas de moi seule. Elle est née dans le silence d’une salle d’atelier d’écriture, entourée d’adolescents en grande vulnérabilité.
Pendant trois ans, j’ai animé des ateliers avec des jeunes cabossés. Pas forcément spectaculaires. Juste cabossés à l’intérieur. Certains parlaient peu. D’autres trop. Mais tous, à leur manière, portaient une douleur silencieuse. Des phrases avortées. Des regards en fuite. Des éclats de colère qui masquaient une immense tendresse. Ils m’ont confié leurs silences. Et un jour, je leur ai fait une promesse.
J’ai promis d’écrire un roman où l’héroïne porterait un peu de chacun d’eux. Un roman qui ne les trahirait pas. Qui ne chercherait ni à expliquer, ni à sauver, ni à édulcorer. Juste à dire, de l’intérieur, ce que c’est de marcher au bord du vide quand on a seize ans. Ce que c’est d’aimer sa famille mais de ne plus réussir à lui parler. Ce que c’est d’avoir mal sans mots.
L’adieu n’est que l’espoir d’un au-revoir, c’est cette promesse tenue. C’est leur livre, à eux. Ce n’est pas une leçon. Ce n’est pas un manifeste. C’est un lieu. Un espace où les adultes peuvent enfin entendre ce qu’ils n’ont pas su voir, et où les jeunes, peut-être, peuvent se sentir un peu moins seuls.
Votre ouvrage traite de la complexité des relations parent-enfant et des silences familiaux. Comment votre travail de coach en relations humaines a-t-il influencé la manière dont vous avez abordé ces thématiques dans votre roman?
Les relations familiales ne sont jamais anecdotiques. Elles nous façonnent bien plus que nous ne le croyons. Elles sont ce socle invisible sur lequel chacun se construit, et ce sont elles qui, en silence, dessinent les contours du monde que nous léguerons. Je suis convaincue qu’une société apaisée ne peut naître que de liens justes. Et cela commence dans les maisons. Dans les silences autour des repas. Dans les mots qui blessent sans intention. Et dans ceux qu’on ne dit jamais.
En tant que coach, je rencontre souvent cette réalité : des parents qui aiment, mais ne savent pas dire. Des jeunes qui souffrent, mais ne savent pas comment être entendus. Ce n’est pas de la négligence. Ce n’est pas de la malveillance. C’est, le plus souvent, de la bonne volonté empêchée.
Nous vivons dans une époque déboussolée. Les repères vacillent. Les rôles s’inversent parfois. La parole est partout, mais l’écoute est rare. Et dans ce vacarme, la relation — la vraie, celle qui transforme et élève — est souvent malmenée. Pas volontairement. Mais par fatigue. Par manque de temps. Par peur de mal faire.
Ce roman est né de cette tension-là. De ce vide qui sépare des gens qui s’aiment mais ne se comprennent plus. Mon travail de coach m’a appris à regarder ce vide sans jugement, à accueillir la faille sans chercher à la combler trop vite. J’ai voulu que ce roman soit traversé de cette posture : pas d’accusation, pas de solution miracle, mais une attention radicale à ce qui se joue quand les mots manquent. Et à ce qu’il est encore possible de réparer, même tard.
Pensez-vous que la fiction puisse réellement aider à briser les tabous autour des émotions non exprimées et des absences familiales? Pourriez-vous nous donner un exemple de retour que vous avez reçu de lecteurs qui ont vécu une telle révélation?
Je ne crois pas que la fiction doive "briser des tabous". Ce langage-là appartient à la sociologie ou au militantisme. La fiction ne revendique pas : elle relie. Elle ne vient pas avec un marteau, mais avec une lanterne. Ce qu’elle dit, en creux, c’est : « Vous n’êtes pas seul. » Et aujourd’hui, rien que cela, c’est absolument immense.
Depuis les premières lectures, les retours qui m’ont le plus touchée ne parlaient pas de style ou d’intrigue. Ils disaient : « C’est comme si vous aviez écrit notre histoire. » Ou encore : « Ces personnages, on dirait qu’ils me connaissent. » Ce ne sont pas des révélations spectaculaires. Ce sont des reconnexions profondes.
Quand quelqu’un me dit que Ninon, Anton ou Nathalie auraient pu s’appeler autrement et exister dans sa propre vie, je sais que le lien est créé. Et ce lien-là, ce petit fil de vérité sensible entre un lecteur et un personnage, c’est tout ce que je cherche.
Votre livre explore la quête d'identité chez les adolescents. Comment pensez-vous que le fait de donner une voix aux jeunes à travers la littérature peut influencer positivement leur parcours personnel?
On pense beaucoup à la place des jeunes. On projette sur eux ce qu’on a été, ce qu’on aurait voulu être, ou ce qu’on croit qu’ils devraient devenir. Très souvent, notre discours sur la jeunesse est un miroir tendu à notre propre adolescence. Mais chaque génération porte des questions qui lui sont propres. Vouloir penser pour les jeunes, c’est déjà risquer de passer à côté d’eux.
Ce qui m’importe, à travers la fiction, ce n’est pas de leur dire quoi faire. C’est de penser avec eux. De leur tendre un lieu où leurs doutes, leurs élans, leurs contradictions aient droit de cité. Un roman n’a pas besoin de ressembler à un adolescent pour qu’un adolescent s’y reconnaisse. Il suffit qu’il y perçoive une respiration. Un espace où il peut se dire : « Je ne suis pas fou, je ne suis pas seul, je peux chercher encore. »
La littérature ne donne pas de voix aux jeunes : ils en ont déjà une. Elle peut simplement créer les conditions pour qu’on les entende — sans les ramener sans cesse à notre propre histoire. Et peut-être, parfois, cela leur suffit pour se risquer un peu plus loin dans la leur.
Dans votre pratique d'accompagnement des adolescents en rupture, quel rôle le silence joue-t-il souvent, et comment travaillez-vous pour transformer ce silence en un dialogue constructif?
Je ne force jamais un mot. Je n’attends même pas qu’il arrive. Je commence par regarder — vraiment. Sans a priori. Sans le filtre des dossiers, sans l’écho de ce qu’on m’a dit d’eux. Je les reçois comme une page blanche, et c’est précisément cela qui leur permet, souvent, de commencer à écrire quelque chose. À leur rythme.
Chez les adolescents en rupture, le silence est rarement un vide : c’est une cuirasse. Il protège ce qui, en eux, n’a pas encore pu être dit sans risque. Il faut donc du temps. De la constance. Une présence qui ne cherche pas à arracher, mais qui tient bon. Une présence qui attend.
Peu à peu, ce silence méfiant — tendu, opaque — se fissure. Il fait place à une parole hésitante, puis à un échange. Et parfois, lorsqu’une forme de confiance s’installe, vient un autre silence. Un silence totalement différent. Plus lourd, mais paisible. Le silence de ceux qui savent qu’ils peuvent se taire sans être jugés. C’est là que se joue le vrai lien.
Pour moi, l’enjeu n’est pas de transformer le silence en parole. C’est de permettre qu’il devienne un silence habité. Un silence partagé. C’est souvent dans ce silence-là qu’ils me montrent le plus beau d’eux-mêmes.
Vous avez opté pour l'autoédition de votre livre. Quel impact cela a-t-il eu sur votre liberté créative et votre capacité à aborder des sujets émotionnellement chargés de manière authentique?
L’autoédition n’a jamais été, pour moi, un choix de repli. C’est un prolongement naturel de ma manière d’écrire : libre, exigeante, et profondément engagée envers les mots que je pose. Elle m’a permis de conserver l’intégralité du souffle du texte, sans dilution, sans compromis, sans ajustement marketing.
Quand on touche à des sujets aussi sensibles que le deuil adolescent, les silences familiaux ou la mémoire blessée, chaque mot compte. La moindre inflexion artificielle peut faire perdre l’essentiel. En autoédition, j’ai pu garder cette ligne intérieure intacte, sans chercher à lisser ce qui dérange ou à renforcer ce qui séduit.
Cela m’a permis de rester fidèle à la vérité du récit, même dans ses aspérités. D’assumer les zones d’ombre, les silences, les ambiguïtés. D’écrire un roman qui ne guide pas, ne résout pas, mais accompagne.
Et surtout, cela m’a permis de rester proche du lecteur. Sans filtre. Sans délai. En déposant ce texte là où il peut rejoindre ceux qui en ont besoin, sans autre ambition que celle de rester juste.
Avec une société qui évolue rapidement, quel avenir entrevoyez-vous pour les thèmes de deuil et de perte dans la littérature pour jeunes adultes, et comment espérez-vous que votre livre contribue à cette conversation?
Nous vivons dans un monde qui ne sait plus perdre. Il multiplie les connexions mais fuit l’absence. Il célèbre la fluidité mais redoute l’attachement. Il prétend faire face à tout — sauf au vide. Et pourtant, c’est dans le creux des choses que naît l’essentiel.
Le deuil, aujourd’hui, n’a pas bonne presse. Il est trop lent pour nos temps rapides. Trop exigeant pour nos émotions prêtes-à-consommer. On veut « aller mieux », « tourner la page », « se reconstruire » — comme si l’on pouvait balayer l’amour d’un revers de calendrier. Mais les adolescents, eux, ne s’y trompent pas. Ils sentent que quelque chose cloche. Ils pressentent que la douleur n’est pas une erreur système, mais une donnée constitutive de l’expérience humaine.
La littérature, quand elle est vivante, ne donne pas des réponses. Elle offre des lieux où la perte a droit de cité. Où l’on peut ne pas aller bien sans être immédiatement dirigé vers la sortie de secours. Où l’on peut regarder l’irreparable en face, sans didactisme ni pathos.
Je n’ai pas écrit ce roman pour faire œuvre utile. J’ai écrit parce que je n’avais pas d’autre choix. Parce que certaines douleurs, pour ne pas devenir des murs, doivent être traversées en mots. Si L’adieu n’est que l’espoir d’un au-revoir peut offrir à un jeune lecteur, un seul, la sensation qu’il a le droit d’être triste sans s’excuser, alors ce sera déjà beaucoup.
Le deuil n’est pas un échec. C’est ce qu’il reste quand l’amour n’a pas pu tout dire. Et peut-être que la littérature — pas les slogans, pas les campagnes — est encore le seul endroit où cet amour-là peut continuer à parler.
Pour plus d'informations : http://marie-fouchet.fr/