Avec Le Ballet d’Augustine, Florence Stevenson fait danser les âmes blessées et les chevaux

Florence, au-delà du succès littéraire avec Le Ballet d’Augustine, quel a été le déclencheur personnel qui vous a poussé à écrire sur les guérisons des âmes humaines et l'éthologie équine ?

Il y a 12 ans, mon cheval Ruby, un Quarter Horse de 7 ans, est mort dans mes bras. Le choc fut terrible. Je me sentais responsable de ne pas avoir su l’aider à faire redescendre son niveau émotionnel. Mais la vie vous réserve des surprises : au cœur de ce chagrin, je suis tombée sur internet sur la toute première formation en ligne d’Andy Booth, un chuchoteur australien venu en France diriger le Haras de La Cense, Centre éthologique en Normandie. Il y est resté douze ans avant de s’installer à son compte. Ma formation auprès de cet homme de cheval a tout changé, à commencer par mon état d’esprit : ne pas le « dresser » mais chercher un partenariat avec le cheval. Savez-vous qu’en anglais, débourrer un cheval se dit « to break a horse » ? Casser un cheval ! Nous vivons, grâce à la science, un vrai tournant : on connaît mieux le cheval et son mode de fonctionnement. Dans les années 1960, la science ne s’intéressait qu’aux animaux sauvages. On a étudié le zèbre bien avant le cheval.
En choisissant la forme du roman, j’offre un espace dans lequel les enjeux deviennent plus clairs parce qu’ils se ressentent. Pas de notions scientifiques ou de constats parfois difficiles à entendre. Le lecteur ne reçoit plus une leçon : il accompagne une histoire.
Le roman m’a permis d’aborder des sujets sensibles, sans brusquer. C’est « ma petite part », celle du colibri de Pierre Rabhi.

Dans Le Ballet d’Augustine, vous entremêlez les souffrances humaines et les relations équines. Comment avez-vous réussi à équilibrer ces deux mondes dans votre roman ?

Bonne question ! C’est ce qui a été, pour moi, le plus difficile. Le sujet, je l’avais ! La plume aussi, paraît-il. En revanche, je n’avais aucune idée du « comment construit-on un roman » ? J’avais tant de choses à dire. Trop. Il a fallu organiser, reprendre, alléger, délester. J’ai réécrit ce texte 6 fois ! Mes amis « guides » me disaient : « tu dois raconter une histoire : il était une fois… ou alors, écris un essai sur l’éthologie équine ». Mais je voulais écrire un roman pour, précisément, toucher le plus grand nombre, cavalier ou non. C’est quand j’ai trouvé le personnage d’Augustine que l’arc narratif s’est mis en place.

Votre implication avec l’éthologie équine semble avoir une influence profonde sur votre écriture. Pouvez-vous partager une expérience personnelle marquante avec un cheval qui vous a inspirée dans votre récit ?

Oui. La plus bouleversante reste celle du petit Miguel avec le pur-sang Lully, dans le chapitre 13. Quand j’évoque la relation entre l’humain et le cheval, on sent bien que c’est un sujet que je connais. Louis Aragon appelait cela le « mentir-vrai » ! Miguel et Lully ont existé. Leur rencontre est authentique. L’émotion, autour du corral, était à son paroxysme.
« Jamais je n’oublierai cet instant de vérité… ce qui s’est passé dans le corral… J’ai vu l’Amour à l’œuvre ; il s’était incarné ! C’était insensé ! »
Comment ne pas être bouleversé par l’Amour incarné, pur et naturel.

Votre roman parle de réparation à travers les chevaux. Selon vous, quelles similarités trouvent-on entre la cicatrisation des blessures humaines et l'approche éthologique avec les chevaux ?

En effet, même si tout semble nous opposer, chevaux et enfants n’ont qu’un même désir : la sécurité affective.
Et pourtant, nos cerveaux sont radicalement différents : eux sont des proies, nous des prédateurs.
Le cheval n’ayant eu qu’à se baisser pour se nourrir, possède un cortex préfrontal très peu développé. L’humain, prédateur, réfléchit, analyse, élabore des techniques de chasse. Son cortex préfrontal a grandi au fil de l’évolution.
Voilà pourquoi, un autre chuchoteur affirme : « Lorsque vous êtes en présence d’un cheval, faites l’exact contraire de ce qui vous vient à l’esprit, vous aurez plus de chance d’être compris par lui ! » Étonnant n’est-ce pas ? Cela laisse imaginer l’ampleur de la tâche ! Nous avons tous la responsabilité d’apprendre. Aujourd’hui, la connaissance est accessible à tous. Nous ne pourrons pas dire : « je ne savais pas ! »

Comment votre expérience à La Réunion a-t-elle façonné votre perception des thèmes que vous explorez dans Le Ballet d’Augustine ?

Mon enfance à la Réunion est fondatrice. La nature m’est indispensable. La compagnie des animaux aussi. Ma sensibilité à la poésie s’est éveillée au contact de la beauté. L’île est qualifiée de « l’île des poètes, l’île intense… »
Mais, il y a eu aussi « l’interdiction ». Mes parents refusaient que je monte à cheval. Ils avaient peur. Il est vrai qu’à l’époque, l’éducation des chevaux n’était pas au centre des préoccupations. Je m’y suis pliée. Mais, cela a renforcé ma passion pour les chevaux, et, plus tard, quand j’ai enfin pu vivre auprès d’eux, les jours de doutes -ou lorsque le temps est épouvantable, qu’on a mal quelque part, ou simplement un jour sans- j’y vais quand même en pensant à la petite fille que j’étais et à ses rêves.
Et vous savez quoi ? On ne regrette jamais « d’y être allé » !

L’idée de créer des liens profonds avec les chevaux est centrale dans votre livre. Pensez-vous que les animaux ont également ce genre de répercussions thérapeutiques pour vous en tant qu'auteure, et comment cela se reflète-t-il dans votre processus créatif ?

Oui, absolument. Les chevaux, plus que n’importe quel autre animal, obligent à l’introspection. Or, cet état est essentiel pour écrire. Quand je bloquais ou que je me sentais face au vide, j’avais pris l’habitude de me « rassembler », de me recentrer : fermer les yeux et revenir aux sensations. On me dit souvent que mon texte est synesthésique. C’est vrai. J’adore convoquer mes cinq sens. C’est ainsi que tout finit par se dénouer.

Vous avez co-créé l’association Cheval d’Espoirs avec votre sœur. Pourriez-vous nous en dire plus sur comment cette collaboration a influencé votre écriture et la manière dont vous abordez la guérison dans votre livre ?

La création de Cheval d’Espoirs est une aventure humaine magnifique. Des rencontres peu communes, des aventures, des découvertes et surtout beaucoup d’émotion. Je dis volontiers qu’au Domaine, on rit et on pleure beaucoup !
Ma sœur Brigitte s’est formée pour exercer son activité, qui, comme je le dis dans le livre, n’est pas un travail, mais une vocation. La « matière » est sous mes yeux : assister aux séances, échanger avec Brigitte, elle me parle des comportements et des émotions des enfants et moi ceux du cheval. Tant de conversations passionnantes !
Cette quadrature du cercle est d’une richesse folle : je rééduque des chevaux traumatisés par les humains, qui ensuite vont aider des enfants cabossés. Le croisement de leurs regards est unique. Inoubliable.

Pour en savoir plus : https://www.instagram.com/flo.stevenson.tirard/

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